Vous avez sans doute déjà entendu parler du fameux projet de l’ordinateur à 100$ destiné aux enfants des pays défavorisés. Je vais dans cet article aborder ce projet. Pour cela je vais commencer par le présenter dans son ensemble, ensuite je vais aborder l’implication du monde du libre vis-à-vis de celui-ci, et enfin je vais parler des problèmes rencontrés par le projet et de l’arrivée de Microsoft.
Le XO-1
Présentation du projet
Tout commença quand Kofi Annan, alors actuel Secrétaire Général des Nations Unies, émit le besoin d’un projet amenant un changement dans les méthodes d’apprentissage des enfants partout dans le monde. En Janvier 2005, le laboratoire MediaLab du Massachusetts Institute of Technology (MIT) se pencha alors sur la question et mit en route le projet de développer un ordinateur à 100$. Nicholas Negroponte, qui était à la tête du projet au sein du MIT, créea alors une association à but non lucratif indépendante du MIT nommée OLCP pour « One Laptop Per Child ». Cette association prit alors en charge ce projet à l’objectif simple : beaucoup d’enfants dans le monde n’ont pas ou très peu accès à l’école, qui parfois se résume à seulement un professeur. Leurs moyens d’accès à l’apprentissage sont donc très limités, et l’un des moyens de remédier à ce problème est de leur apporter un outil amenant à l’apprentissage par soi même. Il s’agit de la philosophie du constructionnisme, noyau même du projet, qui constitue à « apprendre en faisant ». Un ordinateur portable spécialement conçu pour répondre à ce besoin était donc la meilleure option envisageable car il peut se révéler un formidable outil d’apprentissage, de découvertes, d’expérimentation et de partage pour l’enfant.
Après plus de deux années de travail sur l’élaboration de cet ordinateur portable, l’association fut alors prête à commercialiser en Novembre 2007 le XO-1, qui est le premier ordinateur développé dans le but de ce projet éducationnel. Il a été développé de façon à répondre au mieux aux besoins de ses futurs utilisateurs, voici une description de ses principales caractéristiques :
- Du point de vue technique, il est très basique. Il est équipé d’un processeur AMD cadencé à 433Mhz, 256Mo de mémoire vive et 1Go de mémoire flash qui fait office de disque dur.
- Il est petit (un écran de 7,5 pouces) et léger (avec un poids légèrement inférieur à 1,5 kilogrammes).
- Il est conçu pour résister à des conditions extrêmes avec une coque très résistante, il est également imperméable et ne prend pas la poussière.
- Il consomme peu d’électricité (3 à 6 watts en fonctionnement normal comparé à plus de 100 watts pour un ordinateur classique) et a une batterie de très longue durée (avec 50% de durée de vie initiale après 2000 cycles). Il peut également être rechargé par panneau solaire ou à l’aide d’une manivelle.
- Il est équipé d’un très bon récepteur wifi (les deux antennes) accompagné d’un nouveau protocole de réception internet, le 802.11s. Il permet de se connecter directement et instantanément à d’autres ordinateurs XO sans passer par un intermédiaire comme un routeur.
- Il est équipé d’une caméra, d’un micro et d’un écran réversible.
Malheureusement, le rêve d’un prix à 100$ ne s’est pas réalisé et le XO-1 a été commercialisé au prix de 200$ à son lancement. L’association a dû également revoir sa stratégie de vente qui reposait sur l’idée que les gouvernements intéressés devaient faire la démarche de contacter l’association pour passer commande. En effet, ce système n’a pas eu l’effet escompté car les gouvernements n’ont pas été très actifs, l’association a alors fait appel aux particuliers afin d’augmenter les ventes avec la mise en place d’un programme «Offrez-en un, recevez-en un!» par le biais du site amazon (http://www.amazon.com/olpc). Ce programme consistait à offrir à un enfant du tiers monde un XO-1 mais également d’en recevoir un, le tout pour le prix de 400$.
Une classe au Tibet en train d'étudier
Le monde du libre et la distribution Sugar
Quand on sait que l’objectif est de proposer un ordinateur au plus petit coût possible avec le but d’en faire un élément d’apprentissage, on comprend vite que le monde du logiciel libre est à point nommé pour accomplir cette mission. Cela a bien été compris dès l’élaboration du projet puisque le logiciel libre constitue l’un de ses 5 piliers, et absolument tous les composants du XO-1 sont sous licence libre, incluant même le BIOS. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Richard Stallman a lui même décidé de se mettre à utiliser le XO-1 :
« J’ai pris cette décision pour une raison précise : la liberté. Les IBM T23 que j’utilisais depuis de nombreuses années sont convenables dans la pratique, et les systèmes et applications qui y étaient installés sont des logiciels entièrement libres, mais pas le BIOS. Je veux utiliser un portable avec un BIOS libre, et le XO est le seul dans ce cas. ». [1]
Il faut également noter que la combinaison de la philosphie du libre et du constructionnisme engendre des effets positifs idéaux, comme l’explique Benjamin Mako Hill qui est très proche au projet :
« Le constructionnisme et le logiciel libre, implémentés et enseignés en classe, offrent un très fort potentiel d’exploration, de création et d’apprentissage. Si quelque chose te dérange, change-le. Si quelque chose ne fonctionne pas bien, répare-le. Le logiciel libre et le constructionnisme placent les élèves en situation d’appropriation de leur environnement d’apprentissage, de la manière la plus importante et la plus explicite possible. Ils créent une culture de l’autonomisation. La création, la collaboration et l’engagement critique deviennent la norme. » [2]
Il est évident que le système d’exploitation est un élément très important dans un ordinateur, et il en est de même pour le XO. En effet, celui-ci a dû relever le défi d’être léger mais aussi résolument tourné vers la simplicité et l’apprentissage étant donné qu’il se destine à des personnes qui n’ont jamais eu d’ordinateur entre leurs mains. Afin de répondre à ces exigences, dès le départ une équipe de RedHat a développé pour le projet une distribution Linux spéciale appelée Sugar Os, qui est basée sur Fedora 7 et a un environnement graphique dérivé de Gnome. Avec Sugar Os, l’interface avec l’utilisateur est complètement nouvelle et différente de ce que l’on peut connaître :
« Comme vous les utilisateurs du XO l’ont sûrement constaté, l’interface graphique de Sugar diffère nettement des systèmes d’opérations conventionnels (Windows, Mac OS X, Ubuntu, etc.). En effet, la métaphore de bureau y est complètement écartée pour faire place à quatre vues toutes plus sublimes les unes que les autres. Les concepteurs n’ont certes pas omis que, comme le souligne si souvent Nicholas Negroponte, il s’agit là d’un projet pédagogique et non technologique. L’apprenant est donc plongé dans un environnement d’apprentissage polymorphe qui suscite inévitablement une prise en compte du caractère pluriel d’un environnement d’apprentissage. » [3]
- La fenêtre d’accueil de Sugar
Enfin, toujours dans l’optique de l’apprentissage, il faut noter que grâce à Sugar le développement de logiciels par l’enfant est une des nombreuses activités qu’il est invité à explorer. En effet, dans chaque activité se trouve une option « View Source » qui permet en un seul clic d’avoir accès au code source qui est écrit le plus souvent en Python. Ce type de programmation a été choisi car la source est particulièrement facile à lire, et il peut l’utiliser ou le modifier directement pour voir apparaître les changements conséquents.
Difficultés au sein du projet et arrivée de Microsoft
Malgré la bonne avancée du projet et le pari du développement du XO-1 accompli, de nombreux points font que depuis un peu plus d’un an le projet vit des moments difficiles.
L’une des plus importantes difficultés se situe du point de vue économique. En effet, les ventes réalisées ont été inférieures à 1 million d’unités alors que les prévisions pour l’année 2008 tournaient entre 5 et 10 millions d’unités. Cela peut s’expliquer par le fait que des pays comme l’Argentine, le Brésil, la Libye, le Nigeria et la Thaïlande avaient passé des commandes d’un million d’unités chacun qu’ils ont finalement annulées. En effet, certains ont choisi d’autres solutions à plus petites échelles, les autres ont changé de position lors d’un changement de gouvernement. Il y a également le fait que beaucoup d’autres pays intéressés par le projet sont restés hésitants pour plusieurs raisons, en voici quelques-unes :
- Il y a eu un manque de support et de procédures bien définies quant à la manière de déployer le XO au sein des pays.
- L’association n’a pas assez mis en avant et expliqué le bénéfice du constructionnisme amené par le XO comparé aux méthodes d’apprentissage classiques.
- Il n’y a pas assez eu de projets pilote, qui permettent de rassurer les pays quant aux réels bénéfices de cette implantation et à la possibilité de l’exporter à plus grande échelle.
- Plusieurs ordinateurs portables concurrents au XO sont apparus, comme le classmate PC de Intel qui s’est mieux vendu.
- Plusieurs pays comme la Colombie et le Pérou voulaient acheter des XO mais leurs représentants avaient peur que la non présence de Windows comme système d’exploitation soit un handicap pour leurs étudiants vis-à-vis du monde de l’emploi.
Ces difficultés, combinées à d’autres facteurs, ont commencé à mettre le doute au sein du projet, notamment sur des sujets qu’on ne pensait pas pouvoir être remis en cause comme le dévouement entier au monde du libre. Des restructurations importantes ont alors été mises en place et Nicholas Negroponte a commencé à changer sa vision du projet. Pour lui le principal but était désormais d’offrir le XO au plus grand nombre d’enfants possible dans le monde, la question du libre devenant secondaire. Il s’est même mis à critiquer l’implication du monde du libre dans le projet, en disant qu’il avait handicapé le XO car le projet s’était trop focalisé dessus et que Sugar “était devenu amorphe” et “n’avait pas d’architecte logiciel qui soit ferme” [4]. C’est dans ce contexte qu’il annonça l’arrivée de Windows sur le XO, il était alors libre à l’utilisateur de choisir entre un XO sous Windows ou Sugar. Cela faisait plus d’un an que Microsoft travaillait sur une version allégée de son Windows XP pour l’exporter sur le XO. En effet, l’arrivée du XO avait terrifié la firme de Steve Ballmer, car il allait promouvoir le libre à un marché complétement nouveau, constitué de 5 milliards de personnes. Il fallait donc pour Microsoft réagir le plus rapidement possible, autrement, l’entreprise allait devoir affronter une menace difficile à concurrencer… Et en proposant cette version allégée, Microsoft exploita donc une opportunité; Nicholas Negroponte voulait acquérir « plus de crédibilité » vis-à-vis des pays, pour lui Microsoft était l’idéal.
Ce changement de vision a beaucoup de répercussions. En effet, beaucoup de monde a vu l’arrivée de Microsoft comme une trahison, notamment pour le monde du libre qui avait fortement investi dans le XO. Plusieurs personnes clés au projet ont démissionné comme Walter Bender, le responsable de la division logiciel du projet qui était depuis le début le bras droit de Nicholas Negroponte. Il s’est alors mis à fonder la fondation SugarLabs qui aujourd’hui s’occupe du développement de Sugar OS, et va permettre de le rendre accessible sur d’autres machines que le XO.
Enfin, il est à noter que le projet est également touché par la crise économique actuelle et l’association vient de réduire ses effectifs de moitié. Cependant, cela ne l’empêche pas d’aller de l’avant et le prochain XO est toujours attendu pour 2010. D’après les premières annonces, il sera composé de deux panneaux tactiles (plus de clavier physique), à l’image d’un livre. Son poids devrait également être divisé par deux, et le prix annoncé serait de 75$, ce qui peut laisser sceptique.
Voilà, si vous êtes intéressés par ce projet et que vous voulez en apprendre plus je vous conseille d’aller faire un tour sur:
Citations:
[1] http://www.framablog.org/index.php/post/2008/05/06/stallman-olpc-xo-windows
[2] http://www.framablog.org/index.php/post/2008/05/09/olpc-mako-hill-liberation-des-ordinateurs-portables
[3] http://collabo.fse.ulaval.ca/olpc/
[4] http://www.framablog.org/index.php/post/2008/05/13/olpc-la-depeche-source-de-la-polemique
Références:
http://www.framablog.org/index.php/post/2008/05/11/olpc-la-liberte-pour-tous
http://fr.wikipedia.org/wiki/One_Laptop_per_Child
http://olpc-france.org
http://wiki.laptop.org/go/The_OLPC_Wiki
http://www.internetactu.net/2008/05/21/olpc-la-fin-de-linnovation-educative/
http://www.journaldunet.com/solutions/systemes-reseaux/actualite/l-olpc-presente-la-version-2-de-l-ordinateur-a-100-dollars.shtml
http://www.pcworld.com/businesscenter/article/153650/colombia_signs_up_for_olpc_laptops_with_windows.html
http://news.zdnet.co.uk/software/0,1000000121,39418756,00.htm
http://www.olpcnews.com/
http://www.ledevoir.com/2007/11/19/164912.html
http://forums.fedora-fr.org/viewtopic.php?id=20018
http://www.presence-pc.com/actualite/OLPC-Licenciement-33091/
Images:
Le XO-1 http://olpc.com/pictures.html
La fenêtre d’accueil de Sugar http://www.sugarlabs.org/index.php?template=gallery&page=gallery
Une classe au Tibet http://www.internetactu.net/2008/05/21/olpc-la-fin-de-linnovation-educative/